jeudi 1 septembre 2011

Jacques Généreux : La Grande Régression

Aux éditions du Seuil, 2010.

«Durant les vingt premières années de ma vie, j'ai grandi dans un monde où le destin des enfants semblait naturellement devoir être plus heureux que celui de leurs parents ; au cours des trente suivantes, j'ai vu mourir la promesse d'un monde meilleur. En une génération, la quasi-certitude d'un progrès s'est peu à peu effacée devant l'évidence d'une régression sociale, écologique, morale et politique, la "Grande Régression" qu'il est temps de nommer et de se représenter pour pouvoir la combattre.
Car la première force des malades et des prédateurs qui orchestrent cette tragédie est leur capacité à présenter celle-ci comme le nouveau visage du progrès. Et leur première alliée, c'est la perméabilité des esprits stressés. À l'âge de la démocratie d'opinion, les réactionnaires ne peuvent se contenter de démolir l'acquis des luttes passées en faveur d'une vie meilleure pour tous ; il leur faut aussi anesthésier les résistances, susciter l'adhésion ou la résignation de leurs victimes ; ils doivent remporter une bataille culturelle dont l'enjeu est de nous faire aimer la décadence. [...]
En dépit des apparences et de son titre, ce livre n'est pas pessimiste ! Il dit au fond que la voie du progrès humain est connue et possible. Il annonce que nous sommes allés à peu près au bout de toutes les impasses des temps modernes. Tant et si bien qu'au bout de la Grande Régression où nous voilà bientôt rendus, l'humanité devra bien, d'une manière ou d'une autre, prendre un autre chemin. La seule question est de savoir s'il nous faudra pour cela endurer la régression jusqu'à l'effondrement, ou si une nouvelle majorité authentiquement progressiste pourra engager une Grande Transformation démocratique : celle qui nous sortira de la dissociété de marché pour nous emmener vers la société du progrès humain.»

Un livre accessible, clair, net, précis, pédagogique et extrêmement bien documenté sur le processus économique et politique qui a mené notre société là où elle est actuellement, à la frontière de l'impasse. Et ce, depuis environ 30 ans.
A lire de toute urgence avant les élections ! Pour bien prendre conscience de tout se qui se passe, pour comprendre le déroulement des opérations, les engrenages, pour ne pas se laisser coloniser l'esprit par les soi-disant informations claironnées par les médias, et surtout, surtout ! pour réagir.
Parce que tout n'est pas perdu, même si Jacques Généreux, dans son chapitre "une nouvelle renaissance", ne donne pas vraiment de piste précise (enfin, on s'en doute bien, les urnes !).
Un bémol cependant : quand il parle de la décroissance p. 154, c'est presque comme d'une politique de la peur (on ne va bientôt plus avoir de ressources naturelles suffisantes, donc il faut se priver). Or, dans mon cas, c'est plus une politique du bon sens, tout simplement : qui a besoin de 5 télés et de 93 robes dans son armoire ?
Ceci dit, c'est un livre salutaire, lisez-le et agissez en conséquence !

Plein de citations (et encore, je me suis retenue...)

"En Europe occidentale, tous les gouvernements nationaux et la Communauté européenne sont déterminés à poursuivre exactement les mêmes politiques qu'avant la crise, c'est-à-dire celles qui ont engendré la crise ! Ils sauvent les banques de la faillite, ils parlent de "moraliser" le capitalisme, mais s'entendent en fait pour préserver le système à moindres frais ; ils évoquent la "régulation" des marchés financiers, mais imposent en réalité une nouvelle régulation des Etats conforme aux attentes des marchés financiers. "

"En outre, les promoteurs du capitalisme ne sont pas des spectateurs passifs de l'histoire mais des acteurs qui transforment les techniques de production en vue de limiter leur dépendance envers les autres acteurs et qui s'efforcent d'orienter l'"esprit" de leur temps, de façonner les valeurs, les idées et les conventions sociales. La Grande Régression coïncide d'ailleurs avec l'arrivée à maturité d'une industrie de la communication de masse qui constitue une puissante fabrique de l'opinion publique au service d'intérêts privés. "

"(...) la structure générale des budgets publics s'est modifiée dans un sens conforme aux intérêts des capitalistes et aux nouvelles politiques sécuritaires : progression des aides aux entreprises mais baisse des indemnités de chômage et des remboursements de la Sécurité sociale ; gonflement de l'administration pénitentiaire, mais compression de personnel dans l'enseignement public ; exonérations de cotisations sociales pour les employeurs, mais hausse des prélèvements sociaux pour les salariés ; baisse des impôts sur les bénéfices, les placements financiers, le patrimoine, les hauts revenus et les successions, mais hausse des tarifs publics, des taxes sur la consommation et l'habitation.
Le bilan est clair. On ampute les services collectifs accessibles à tous et on demande néanmoins aux travailleurs de contribuer davantage à leur financement, non pour réduire les déficits et la dette publique conformément à la doxa officielle, mais pour remplir les poches des plus fortunés."

"Parmi les pays industriels les plus avancés, au milieu des années 2000, les Etats-Unis sont simultanément les champions pour : le PIB par habitant, les inégalités de revenus, le taux de pauvreté, l'analphabétisme, l'illettrisme, l'insécurité de l'emploi, le taux d'emprisonnement, la probabilité de décéder avant 60 ans, la prévalence de l'obésité chez les individus âgés de 15 ans et plus. Les pays qui réduisent au minimum cette avalanche de calamités sont la Suède et la Norvège, c'est-à-dire des pays où les inégalités de revenus sont les plus faibles. Ce sont aussi, comme on sait, des pays où la part du revenu national consacrée aux biens publics est parmi les plus élevés dans le monde."

"Désormais, la "modernité" désignerait donc la qualité des moutons qui font comme tout le monde et des abrutis qui adhèrent sans réfléchir au discours ambiant. L'archaïsme serait a contrario la tare des penseurs et des résistants qui s'opposent à la destruction systématique des progrès sociaux conquis par les peuples justement les plus modernes !"

"A un moment ou à un autre, grâce à la dégradation des comptes publics qu'il a lui-même programmée, le gouvernement peut justifier la "nécessaire" réduction des dépenses publiques."

"L'Union européenne s'est donc elle-même interdit l'usage de tous les instruments de la puissance publique mobilisables partout ailleurs dans le monde pour faire face à une attaque des marchés financiers. Ce n'est pas là un oubli malencontreux, mais un choix délibéré pour soumettre les Etats européens à la tutelle des marchés financiers."

"Ce n'est pas la régression économique qui, à elle seule, entraîne les autres ; elle n'a été possible que dans un contexte d'affaiblissement de la démocratie, de délitement des liens sociaux, d'abêtissement des élites et de soumission des individus. Et tous ces mouvements se renforcent l'un l'autre, dans une dialectique négative, une spirale régressive qui n'a aucune raison de s'éteindre d'elle-même, avant le grand chaos peut-être nécessaire pour ouvrir la voie d'une renaissance."

"La contrainte ne doit plus s'exercer par la surveillance du contremaître, elle doit être intériorisée par le salarié lui-même : il se sent coupable du moindre retard, de la moindre défaillance, qui mettrait sous pression tous les autres salariés dans un processus à flux tendus ; il redoute l'humiliation d'une mauvaise "évaluation" du chef de service ; il est fier d'être un "battant", un salarié "impliqué" et "performant" qui doit son statut à son seul travail."

"Au lieu de solliciter les classes aisées pour financer des politiques sociales, les néolibéraux ont amputé les bas revenus pour alléger le "fardeau" fiscal des riches. Au lieu de reconnaître les causes sociales de la violence, de la délinquance, ils ont installé la culture perverse de la responsabilité individuelle, cette morale de bourreau qui vise à exonérer la société de toute responsabilité dans les méfaits commis par des déviants, cette morale qui vise même à transfigurer les victimes de leurs politiques - pauvres, chômeurs et autres estropiés de la guerre économique - en coupables d'une faute morale, en parasites qui vivent aux crochets des "braves travailleurs". Une fois bien installée dans la culture ambiante, l'idée que l'individu est seul responsable de son sort persuade chacun qu'il n'a pas à "payer pour les autres", et prépare l'opinion à la réduction ou à la privatisation des services sociaux et des biens publics."

"Cette politique répressive ne réprime en réalité pas grand-chose. Si l'on exclut les artifices statistiques dans la mesure des performances policières, la délinquance et la criminalité globales sont très peu affectées par l'inflation des politiques sécuritaires. Mais surtout, les violences physiques et le sentiment d'insécurité augmentent régulièrement dans la plupart des sociétés industrielles avancées, indépendamment des politiques pénales ou policières."

"La presse ne joue plus son rôle ancien de contre pouvoir. Les médias sont devenus une industrie marchande et un instrument redoutable de conditionnement psychique et d'embrigadement des masses, un authentique pouvoir mais sans le moindre contre-pouvoir. Si les citoyens étaient devenus globalement plus informés, plus intelligents et plus autonomes, ils ne seraient pas tombés sous la coupe d'une bande de fanatiques tout au long des années 2000, ils ne resteraient pas en adoration devant un système économique qui tue leur économie nationale, leur santé, leur liberté, leur unité, au profit principal des 1% les plus riches."

"Nombre de "citoyens" anesthésiés par la consommation, intoxiqués par le stress, tétanisés par la peur, abrutis et manipulés par la télévision et, finalement, dégoûtés par la politique de leurs élus, composent une masse atomisée qui ne vote plus, ou vote à proprement parler "n'importe comment" en réaction, à l'humeur, à "la tête du client". Ainsi s'installe une démocratie sans citoyens."

"Pour toute une série de questions économiques et sociales majeures, les Européens sont, de fait, gouvernés par un Etat fédéral, avec des lois européennes qui priment sur les lois nationales - des lois initiées par la seule Commission européenne et que les citoyens n'ont aucun pouvoir d'influencer ou de contester par un quelconque vote national ou européen ! Et même dans le seul cas où le vote des électeurs peut peser - quand ceux-ci refusent de ratifier un traité -, les gouvernements décident d'effacer le suffrage populaire et de ratifier le traité, entre eux, dans le huis clos d'une majorité parlementaire aux ordres du pouvoir exécutif. Le vote populaire n'est plus toléré qu'à la condition qu'il plébiscite le choix de ses maîtres."

Un lien, entre bien d'autres, pour agir : la marche européenne des Indignés, partie de Madrid et qui devrait arriver à Bruxelles le 8 octobre prochain.

3 commentaires:

  1. Mais alors je dois repasser et prendre du temps pour te lire
    Je repasse alors bise

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  2. Bonsoir Iza. Ton texte reflète une parfaite réalité que nous subissons. Je pense que tu vas bien et je vais te souhaiter de passer une excellente soirée. Amicalement Antoine.

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  3. Merci pour votre passage, bisous et bon week-end à vous ;)

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