"Y a-t-il quelqu'un pour condamner le meurtre d'une âme ? demanda-t-elle. Pouvez-vous me le dire ? Comment peut-on porter plainte contre un homme parce qu'il a assassiné une âme, est-il possible de le traîner devant un juge et de le faire reconnaître coupable ?" ("La femme en vert, Arnaldur Indridason).
Après "la femme en vert", j'ai eu une formidable envie d'écrire quelque chose sur les femmes battues sur ce blog. Je parlerais bien des hommes battus, ça existe, mais je n'en connais aucun que je sache.
Par contre, dans ma vie, j'ai deux amies qui ont été des femmes battues.
La première est une jolie jeune femme, intelligente, pétillante. Jamais vous n'auriez pensé qu'elle vivait un enfer. Elevée par sa grand-mère, décédée depuis, reconnue tardivement par sa mère (ce qu'elle n'a appris qu'assez récemment), abandonnée par son père, bref quelqu'un qui a peur d'être abandonnée, de se retrouver seule, qui se sentait coupable d'une faute pour être abandonnée comme ça. Elle a épousé ce beau jeune homme dont elle aurait dû se méfier puisqu'elle le connaissait et savait ce dont il était capable. Beau jeune homme pas aussi intelligent qu'elle, mais sympathique à première vue (lui ? battre sa femme ? noooooooooooon !). Son père l'avait battu, avait battu sa mère, l'avait trompée, il avait deux soeurs folles à la rue, un passé chargé, quoi.
Et je suppose qu'il exerçait le seul pouvoir qu'il avait dans la vie en tapant sur mon amie, là où ça ne se voyait pas. En la harcelant. En la critiquant sans arrêt, voire en l'insultant. En fouillant son sac, en examinant son portable. Elle nous racontait ça, à une autre amie et à moi-même, et nous n'avions qu'une parole à la bouche : "quitte-le !". Mais elle n'y arrivait pas. Parce qu'elle avait peur de ses réactions (une fois, il l'avait menacée de lui jeter de l'acide à la figure), parce qu'elle avait peur qu'il l'attende à la sortie du boulot, parce qu'elle ne savait pas si elle l'aimait, parce qu'il lui avait embrouillé la tête (lui était comme un saint, elle accumulait toutes les fautes, bien entendu), parce qu'elle n'était pas riche et que fuir impliquait trouver un autre logement, un autre travail. Elle avait déposé une main courante au commissariat, parce qu'elle n'osait pas porter plainte. Elle avait été voir un médecin qui lui avait délivré un certificat médical. OK, admettons qu'elle porte plainte et ensuite ? Il en est averti par courrier ou autre et une fois prévenu, il se retrouve seul face à elle dans leur appartement, les yeux dans les yeux, et...
A force de lui parler, elle a fini par économiser peu à peu pour se trouver un petit appartement en location et un soir, plusieurs de ses amis se sont retrouvés pour l'aider à déménager à la cloche de bois, son mari étant au travail. Elle était en pleurs et incapable de bouger, mais enfin, elle était libre à condition de faire attention en sortant du travail. Nous l'aurions protégée comme nous aurions pu. Et le lendemain, il l'appelle... et ils se remettent ensemble ! Là, ma collègue et moi étions dégoûtées et nous comprenions difficilement voire pas du tout. Surtout que ça a continué, il l'a battue à nouveau. Après l'avoir aidée comme j'avais pu, dans des conditions parfois difficiles, c'est moi qui ai quitté mon travail pour un autre. Nous avons gardé un contact épisodique et je sais que depuis, elle a changé de travail, a quitté son mari, une collègue l'a hébergée quelques temps jusqu'à ce qu'elle retombe sur ses pieds. Elle a trouvé un homme qui l'aime et tout semble aller pour le mieux. Mais ce qui m'a frappée sur le moment, c'est ça : où trouver de l'aide ? Comment porter plainte ? Comment fuir un homme qui vous maltraite si on n'a pas d'argent ? Ben j'vous l'dit, c'est pas facile du tout du tout... Ne croyez pas tout ce que vous voyez dans la presse ou dans les médias, en gros, il s'agit de se débrouiller toute seule ou avec ses amis et sa famille.
Une autre amie, autre histoire, quoique... Mari violent venant d'une famille violente. Il la bat (même à coup de fourchette !), l'insulte, la harcèle, la menace, la dévalorise, terrorise ses enfants bien qu'il essaie de mettre de son côté son petit garçon. Je me rappelle d'un après-midi où il la terrorisait en l'appelant d'un café voisin, où il était en train de se saoûler, et où elle craignait pour sa vie et la vie de ses enfants. Elle avait préparé, en vue de son retour, ses valises et celles de ses enfants, les avait mises dans la voiture tout près de la porte, pour qu'ils puissent sauter dedans et s'enfuir s'il devenait violent. Elle me parlait de ces histoires où un homme tue sa famille entière, lui en parlait aussi, elle avait peur. Toujours peur. Peur de rentrer chez elle, peur pour ses enfants, peur pour elle, peur de ne pas dire ce qu'il fallait, de ne pas agir comme il fallait, elle ne connaissait pas le repos. Elle a fini par divorcer, elle aussi. Elle est partie avec ses enfants, mais pas grâce au commissariat, pas grâce à une association de femmes battues (quasiment inexistante dans sa région, et à des horaires d'ouverture minimaux), pas grâce à une assistante sociale qui lui aurait fourni un logement, mais en payant un nouveau logement, de nouveaux meubles, de nouvelles fournitures, un nouvel électro-ménager, et une avocate !
Ces divorces ont-ils eu lieu en reconnaissant le tort de ces hommes ? Non. Ils ont eu lieu d'un commun accord faute de mieux. Sinon, il faut prouver, il faut expliquer, il faut impliquer les enfants, les faire témoigner contre leur père, il faut justifier, produire des preuves et comment faire quand tout ne se passe pas sur la place publique ? Quand toutes ces violences ont lieu à huis clos ? Quand tous ceux qui "le" connaissent vous disent qu'il est impossible qu'un type si sympathique puisse battre sa femme et que vous êtes une menteuse ? Quand vous refusez d'impliquer vos enfants, les témoins oculaires de ces violences souvent, quand vous vous dites qu'ils en ont assez vécu comme ça sans rajouter ces épreuves de justice ? Bref, si ces femmes s'en sont sorties, c'est uniquement grâce à elles-mêmes et en s'endettant lourdement. Si elles ont eu une aide juridique, c'est en payant leurs avocates.
Mon but n'est pas de décourager par avance celles qui voudraient quitter un homme violent, certainement pas, plutôt de crier au manque d'aide flagrant ! Mais renseignez-vous, planifiez bien à l'avance, impliquez votre famille, vos amis (et tâtez le terrain avant de leur parler pour voir s'ils sont capables d'accepter que cet homme qu'ils connaissent si bien est violent et qu'ils n'aillent pas tout lui raconter !), essayez de ne pas rester toute seule mais ne gardez pas trop d'espoir en allant au commissariat ou en tentant de voir une association : il faudra vous débrouiller par vous-même et compter principalement sur vous, et c'est difficile quand on vit déjà constamment dans la terreur.
Comptez aussi une aide psychologique, pour vous voire pour vos enfants, on ne vit pas une épreuve pareille en en sortant indemne, ça laisse des traces durables pour la famille entière.
Une chose encore : internet, malgré tout ce qu'on dit sur lui, peut faire prendre conscience à certaines femmes qu'elles sont battues. Parce que certaines sont tellement bien manipulées qu'elles finissent par croire qu'elles sont seules fautives, qu'"il" a raison et qu'elles sont mauvaises. Allez sur des forums anonymement, discutez, partagez vos expériences et là, vous vous rendrez compte, tristement mais avec soulagement peut-être, que vous n'êtes pas seule. Et pouvoir parler à quelqu'un, se sentir soutenue, ça peut faire du bien.
Je tiens à préciser que je n'étais pas une femme battue, mais avoir côtoyé mes amies m'a particulièrement sensibilisée à ce sujet bien plus courant qu'on ne l'imagine...
Coucou Isa c'est Marica... tout le monde se demande ce que tu deviens, tu devrais venir nous faire un petit coucou, ça nous ferait plaisir. je vois que tu as dans tes références le blog de Janny de Marseille, sais tu que c'est elle avec une autre fille qui avait fondé l'ancêtre du forum que j'ai fait renaitre de ses cendres. J'ai eu l'occasion de la rencontrer il y a quelques années, nous avons eu la même nutri psy. Une fille aussi pétillante que son blog.
RépondreSupprimer@ Iza coucou, une histoire de femme battue et violée j'en connais une, je connais aussi l'histoire d'un homme battu et torturé, c'est si affreux que je ne peux écrire les faits tel qu'ils se sont produit et que je ne veux pas non plus enjoliver ça dénaturerais la réalité. merci pour ta visite sur mes sites...
RépondreSupprimerChris
@ Marica : tout à fait d'accord avec toi, Janny est une femme extra !
RépondreSupprimer@ Antar : quelles horreurs on voit parfois (souvent ?)