J'ai encore entendu des propos sur le vote utile récemment, ça m'énerve tellement que je préfère passer à autre chose. Voici donc une nouvelle chronique de l'oncle Philippe.
Splendeur de la misère
Heureux habitants du Pas-de-Calais et des autres départements français, bien que les savants nous aient détraqué le temps avec toutes leurs expériences, l'hiver finira bien par arriver et avec lui le SAMU social, les stations de métro-asiles de nuit et les Restaurants du coeur. (A vrai dire tout cela est déjà arrivé, mais, comme l'hiver est en retard, on le voit moins que l'an passé).
La question que pose la misère en France c'est apparemment de trouver un nom pour ceux sur qui elle s'est abattue. Il y a tout juste dix ans, on les avait baptisés les "nouveaux pauvres". Après la nouvelle cuisine et les nouveaux philosophes, cette dénomination avait un aspect pimpant, moderne et publicitaire qui convenait à merveille à un pays redécouvrant la fureur d'entreprendre. Tandis que M. Tapie donnait des cours de dynamisme à la télévision et que l'on réconciliait la gauche et l'argent, le pays, certes, connaissait une recrudescence de la pauvreté, mais c'était des pauvres nouveaux, sous-entendu de meilleure qualité que les anciens pauvres.
Cependant, à force de rester dans la mouise, il faut bien dire que, dans une société où tout s'use vite, les pauvres perdirent de leur nouveauté. On améliora leur nom de baptême - faute d'améliorer leur situation - et ils furent baptisés SDF.
Ce sigle laissait entendre que les clochards et les indigents appartenaient à une catégorie administrativement répertoriée et cela était rassurant.
Puis les SDF dont les rangs grossissaient furent appelés les "exclus". Eclus par qui ? Ce n'était pas la question. Le mot avait une jolie charge dramatique, il paraissait être le résultat d'une malédiction ou à tout le moins d'une fatalité et il évitait que l'on s'interroge sur la politique qui avait conduit tant de gens à la précarité matérielle et morale.
A vrai dire, les mots d'"exclus" et d'"exclusion" sont encore en vigueur et ils ont sans doute - comme l'état qu'ils désignent - de beaux jours devant eux.
Cependant, ils s'useront eux aussi. Par quoi les remplacer ? Ne cherchez pas, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Val-de-Marne a déjà trouvé. Il y a peu, elle a convié une auditrice sachant auditer et s'occupant des Restaurants du coeur à une table ronde sur, je cite, "la prise en charge des personnes sans résidence stable en situation d'errance cristallisée". Vous voyez qu'il ne faut pas désespérer : avec la situation d'errance cristallisée, la misère est en passe de devenir une catégorie esthétique.
Je vous souhaite le bonjour.
Nous vivons une époque moderne.
Et cela n'a pas l'air de devoir s'arranger.
14 décembre 1994
Un lien vers ATD Quart-Monde
je viens te dire bonsoir
RépondreSupprimerMoi aussi la voix de Philippe Meyer est une de mes madeleines, d'autant qu'elle distillait de l'intelligence.
RépondreSupprimerJe me fais encore plaisir le samedi, même si c'est plutôt fredonnant!
PS: je ne savais pas que ses chroniques avaient été éditées, il faut que je me les trouve, car en lisant (grâce à toi, merci), je l'entends. Du bonheur.
RépondreSupprimerBonsoir à toi, Flo ;)
RépondreSupprimerMoi aussi, je l'entends en les lisant ! Elles ont été éditées chez Seull, en collection Points.