
"Car il a bien fallu que je me débrouille avec cette mystérieuse incohérence : toi la bonne fille, la petite sainte, tu n'as pas été sauvée, moi le démon j'étais vivante. Plus que vivante, miraculée. Il fallait donc que tu meures à six ans pour que je vienne au monde et que je sois sauvée."
La collection regroupe des lettres fictives d'écrivains contemporains.
Dans ce petit volume vite lu, Annie Ernaux écrit à celle qu'elle a découvert à environ 10 ans, involontairement, en écoutant une conversation de sa mère qui ne lui était pas destinée.
Un petit livre qui m'a beaucoup touchée, non seulement parce que j'aime énormément cette auteure pudique, mais également pour le style empreint de sensibilité sans sensiblerie et de beaucoup de justesse.
Beaucoup de retenue, de souffrances inavouées, du côté des parents autant que du côté de "l'autre" fille, des questionnements qui durent toute une vie, faute de réponses de la part de la famille. Et surtout l'impression de ne devoir sa vie qu'à la mort de sa soeur. Ce livre n'est aucunement misérabiliste, je tiens à le préciser. Un vrai coup de coeur ! Il faut dire que le sujet me concerne de près, puisque j'ai vécu une histoire similaire...
Quelques extraits :
"A la fin, elle dit de toi elle était plus gentille que celle-là. Celle-là, c'est moi."
"Je suis venue au monde parce que tu es morte et je t’ai remplacée."
"Il n'y a pas eu de prédestination. Seulement une épidémie de diphtérie et tu n'étais pas vaccinée. Suivant Wikipédia, le vaccin a été rendu obligatoire le 25 novembre 1938. Tu es morte sept mois avant."
"Il me semble que le silence nous a arrangés, eux et moi. Il me protégeait. Il m'évitait le poids de la vénération qui entourait certains enfants décédés de la famille avec une cruauté inconsciente pour les vivants qui me révoltait quand j'en étais le témoin. "
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